Zhecee

 

 

Le temple de l’Œil se dressait au centre de la ville, monument majestueux qui captait tous les regards d’un bout à l’autre de la région. Il avait été le premier bâtiment construit par les fondateurs de Gavia, des siècles auparavant. Sa pierre de verre captait les rayons du soleil et les renvoyaient amplifiés, aveuglants.

 

La race des gavials s’était définie par rapport à l’Œil et à Son enseignement, qui transmettait la volonté de Solpa le tout puissant, l’infinie Lumière bienfaitrice, et le feu purificateur. Avant cela, les gavials n’étaient que des lézards rampants à peine sortis des eaux de Pranom, jusqu’à ce qu’Udall, l’avatar de Solpa sur le sable brûlant de Shaffar, leur accorde le don de la parole.

 

Zhecee, comme tous les habitants de la cité, se leva peu avant le soleil, et se tint devant sa fenêtre, attendant que l’astre se lève et vienne le baigner, l’inonder de sa lumière et réchauffer ses écailles. La tête droite, il le fixa de ses pupilles étroites, sans ciller, jusqu’à ce que le cercle de feu se détache de l’horizon. Quand la salutation fut accomplie, il quitta sa demeure et prit la direction du temple, rejoignant ainsi la longue file qui montait au temple. Ce jour était celui de Solpa, le cinquième jour de la décade. Le jour entièrement dédié à Sa lumière.

 

Durant les quatre heures que dura son attente, aucun nuage ne vint maculer le ciel d’un bleu parfait, et l’astre rayonnant offrit sa chaleur aux gavials. Lorsque vint le tous de Zhecee de rentrer dans le temple, ses écailles étaient brûlantes, et la bénédiction de Solpa lui avait fait tourner la tête. Titubant, il franchit les portes d’or et entra dans la fraîcheur du bâtiment.

 

Le plaisir fut indicible, et Zhecee tomba à genoux, en prière. Devant lui se tenaient encore plusieurs patients, et au-delà, la colonne de Lumière s’élevait, toute droite, et continuait vers le ciel par le puits céleste supérieur.

 

Zhecee, en silence, écouta les bénédictions du prêtre de l’Œil qui, sous la surveillance de Solpa dont une représentation était gravée sur le mur oriental, accordait pardon et protection à l’aspirant. Les yeux de Zhecee piquaient et s’emplissaient de larmes, devant tant de beauté. Chaque décade, il attendait ce jour, le moment où il serait délivré du poids de l’obscurité qui empoisonnaient ses pensées. Il n’aurait jamais pu vivre sans cela. Il expira l’air de ses poumons par les fentes de ses narines étroites, et ferma les yeux un court instant. Puis ce fut son tour.

 

Le prêtre était revêtu de sa robe de cérémonie habituelle, et du Cigha, le grand chapeau qui recouvrait son crâne. Zhecee baissa la tête pour recevoir sa main.

 

— Zhecee, reçoit, à travers l’Œil, le salut que Solpa offre à ses enfants, et renaît dans la lumière pour y être purifié.

 

Le gavial sentit les frissons de la bénédiction lui traverser l’échine, et il expira de plaisir. Puis il marcha, droit et déterminé, vers la colonne ardente. Son regard passa sur l’abîme du puits céleste inférieur, où le sol se dérobait vers le vide, et sans hésiter il posa le pied dans la lumière et y entra complètement.

 

C’était comme si le monde s’éclipsait, et que son poids disparaissait pour le laisser flotter. La lumière qui montait en flèche lui arracha son obscurité, ses souffrances, ses doutes et ses peurs. Zhecee acquis la perception renouvelée d’une réalité rassurante. Il se sentait plus fort, aimé et invincible.

 

La purification ne dura qu’une seconde, puis le pas suivant l’amena de l’autre côté du puits céleste, où il retrouva la consistance du sol, les bruits du monde et l’agressivité visuelle de la matière. Mais durant un instant, il avait ressenti l’ataraxie d’une existence libérée de toute entrave, comme elle le serait à sa mort, dans les Terres Chatoyantes de Solpa, pour l’éternité.

 

Il quitta le temple par la sortie orientale et remercia l’astre bienfaiteur pour ce rappel des promesses faites à son peuple. Serein, il dirigea ses pas vers sa maison, où il méditerait, pour le restant de la journée, sur les joies que lui apportaient la Lumière, et comment mieux lui rendre grâce à l’avenir.