Divagation III

 

 

 

Il mourut, et devint immortel.

Ayant vécu par le danger et recherché la prise de risque, il ne trouvait en ce décor qu'une existence impavide.

N'ayant jamais eu de patience ni le génie d'inventer ce qui n'était pas, il ne lui restait que l'attente éternelle et sa seule volonté pour remplir le vide.

Ayant toujours aimé vivre et jouir de ce que le monde pouvait offrir, il n'avait plus froid ni faim, et le sommeil se refusait à lui.

N'ayant jamais aimé être seul, ayant toujours recherché la compagnie de ses pairs, il devait apprendre à subir le silence d'un monde sans oreilles.

Ayant toujours eu peur du peu de temps à vivre sur cette terre qui l'avait vu naître, angoissé devant l'ampleur de ses désirs qu'il était impossible d'embrasser d'un seul este, il avait désormais devant lui l'éternité et l'omnipotence ; les barreaux d'acier de la liberté.

 N'ayant jamais eu la foi tout en se déclarant l'ennemi des transcendants, il était devenu un dieu.

 

Divagation VI

 

Il ferma les yeux et laissa aller son esprit, abandonné au tumulte de ses pensées, lâché dans la tempête qui, bientôt, effaça sa conscience pour permettre la liberté.

 Le tourbillon l’emporta dans un univers chaotique peuplé de voix et d’êtres fantomatiques. Les courants d’air vindicatifs soufflèrent sur lui la discorde, la colère, le conflit. Au centre du maelström, il ouvrit les bras et, tel Poséidon, rendit les vagues dociles et amena le premier rayon de soleil qui perça le plafond de grisaille.

 Tout d’un coup, la conscience lui revint. Les sons, les voix chuchotées, la sécurité d’une paix retrouvée. Débarrassé de ses chaînes, il s’envola alors, léger, et partit suivre la première pensée qui croisa son chemin.

 Celle-ci l’emmena dans une contrée si lointaine, si inconnue, que tout ce qu’il savait, tout ce qu’il traînait derrière lui comme un poids, sans même le savoir, disparut.

 Ce fut le début d’une ère qui dura mille années, une ère de couleurs, de vies et de libertés. Sa mémoire se délesta du passé, et bientôt, de lui, ne resta que le présent. Là, au pied du futur, il posa une pierre ronde et lisse. Il déclara : « ceci marque le début », et il fit un pas : le premier pas.

 Il bâtit des cités, qu’il lia avec des routes, des monuments colossaux que l’on voyait d’un horizon à l’autre ; il fit surgir du sable des forêts verdoyantes, et empli les déserts d’océans qui furent le berceau de millions d’espèces. Il raconta des aventures, créa des histoires, vit voyager les peuples et donna la vie à des milliards d’êtres vivants.

 À chaque pas, il créait quelque chose et, du souffle qu’il lui donnait, s’en détachait aussitôt. Il préservait leurs libertés autant que la sienne. Ses pensées, volatiles, éphémères, sautaient d’instant en instant, et jamais ne pouvaient être capturées.

 Il ne regardait jamais en arrière. Il ne se retournait jamais sur son passé. Il oubliait son malheur à peine celui-ci passé, et trouvait ainsi le goût d’aimer chaque seconde.