Les Chemins de la liberté

 

 

 

 

Autour du feu de bois qui envoyait ses braises dans la nuit, les enfants de Myriam étaient suspendus aux lèvres de Jan, qui racontait ses histoires, depuis le crépuscule, et chantait ses poèmes. Ils l’avaient rencontré sur le chemin qui partait vers le nord, depuis Valice. Après une journée entière de marche soutenue, Myriam les avait réunis pour passer la nuit. Ce n’était pas prudent, si près de la route, elle savait au moins cela, mais elle ne connaissait pas les règles qui régissent les voyages. Toute sa vie, elle n’avait connue que Valice, entraînée dans une vie normale qui lui était prédestinée.

 

Jan avait surgi un soir près de leur campement, et leur avait demandé s’il pouvait se joindre à eux. Myriam cachait toujours un couteau dans les replis de sa robe, et même si les sacoches de leur unique cheval ne contenaient aucune richesse, elle savait que ce n’était pas ce qui arrêtait les brigands.

 

Au contraire d’un brigand, cependant, Jan avait été un invité fort sympathique. Myriam ne s’était apaisée que durant le repas qu’ils avaient partagé, en l’écoutant parler. Quant à ses quatre enfants, ils n’avaient aucune notion du danger que représentaient ces contrées. Jan était une surprise bienvenue, un divertissement qui les détournaient du quotidien morne de la route poussiéreuse.

 

Pour eux aussi, ayant fui la ville et ayant vécu depuis leur naissance à Valice, le monde paraissait tout d’un coup bien vaste. Ce n’était pas la première nuit qu’ils passaient sur la route, et si la lune l’éclairait parfois, d’autres fois elle était noire et angoissante. Plusieurs fois, Valn et Raya s’étaient réveillés, en proie à des cauchemars, cherchant le réconfort d’une présence, d’un son. Myriam tentait de les consoler tant bien que mal, mais le silence, dans ces campagnes, était une réalité autrement plus pesante qu’à Valice.

 

En écoutant Jan et en voyant sa bonté, Myriam avait un instant cru avoir trouvé un compagnon de route fiable, quelqu’un sur qui ils pourraient compter, elle et ses enfants. Mais au fil de ses histoires, elle s’était mise à comprendre quel genre d’homme il était. Il n’était rien comme son mari, bien sûr, mais il ne vivrait jamais pour quelqu’un d’autre non plus.

 

Jamine et Raya étaient celles qui écoutaient le plus intensément le voyageur. À mesure que la soirée avançait, les yeux piquaient, les bâillements se faisaient plus fréquents. Mais Jan était un orateur captivant. Le récit de ses aventures, partout sur Sima et au-delà, ce qu’il y avait vu… Les deux petites filles, émerveillées, s’était faites au terme de « liberté », qu’il employait tout le temps. Elles étaient jeunes, mais elles comprenaient que cette « liberté » n’était pas une chose qu’on trouvait dans les villes. Lui-même, avait-il expliqué, avait dû quitter ses enceintes pour la trouver.

 

Raya, la plus jeune des deux filles, ne comprenait pas exactement ce qu’il désignait par ce terme. Jan en parlait parfois comme d’une personne, ou d’un dieu, et d’autres fois comme d’un lieu où il désirait se rendre. Perdue dans ses réflexions, et n’écoutant plus ce que racontait Jan, elle l’interrompit soudainement.

 

— Et comment tu l’as trouvée, la liberté ?

 

Jan se tut et la regarda. Autour du feu, Myriam et ses autres enfants guettaient attentivement sa réponse.

 

— J’ai suivi le chemin, répondit Jan en lui souriant.

 

— Quel chemin ? demanda Raya du tac-au-tac.

 

— Le chemin de la liberté, fit Jan en s’amusant du jeu de questions-réponses dont les enfants étaient tellement friands.

 

— Il est où ce chemin ? intervint alors Jamine.

 

— Nous sommes dessus, annonça fièrement Jan.

 

— Quoi, là ? fit Jamine. Mais… c’est juste la route qui part de Valice !

 

— Oui, confirma Jan. Mais toutes les routes sont des chemins de la liberté. Il suffit juste de ne pas se rendre où elles mènent.

 

 

Cette nuit-là, Myriam et ses enfants dormirent mieux. Au matin, Jan était toujours là, et Myriam l’en remercia mentalement. Ils firent un bout de chemin ensemble, puis leurs routes se séparèrent. Jan s’en alla vers l’est, et eux continuèrent en direction de Peyli, où Myriam espérait trouver un bateau qui remontait vers Solpania. Elle se demanda plusieurs fois par la suite, lorsqu’elle entendait parler d’un nouvel endroit, si Jan y était déjà allé, s’il y était en ce moment, ce qu’il pouvait y voir. Les enfants en parlèrent pendant longtemps, car ces années après leur départ de Valice furent mémorables autant que difficiles. Bien plus tard, à Solpania où elle rejoignit son oncle, Myriam trouva un homme fiable qui sut veiller sur ses enfants. Elle sut que son chemin à elle l’avait menée à bon port, et pour elle, cela était tout aussi bien.