Le Passage

 

 

— Ici, leur souffla Torel, tout ce qui se trouve hors de vue du soleil est dangereux. Ne quittez pas la lumière.

 

Le groupe progressait dans le dédale avec une extrême précaution. L’obscurité les encerclait, et en ce lieu elle n’était pas inoffensive.

 

Le vieux Torel les avait guidés jusqu’à cette cité, autrefois fortifiée, aujourd’hui seulement perceptible par les ruines que la végétation n’avait pas recouverte. Malgré la situation d’urgence, il ne s’était pas laissé convaincre, en premier lieu, et il avait fallu que Selim trouve les mots justes pour qu’il nous fasse confiance. Torel disait être le seul à connaître l’existence de ce lieu. La rumeur s’était répandue, visiblement à son insu, mais son savoir concernant la localisation précise de la cité le rendait inestimable.

 

— Il faut comprendre ceci, leur avait-il dit au beau milieu de son récit historique et archéologique sur la cité ; ce lieu n’a jamais eu de nom, et aucune carte ne rend compte de son existence. Depuis l’aube de Panium, elle a été cachée au regard de Solpa ; il y règne donc une obscurité totale et permanente.

 

Torel n’avait pas menti. Comme il l’avait décrite, la cité sans nom était un point aveugle dans le monde ; un endroit sur lequel on ne pouvait poser son regard, car nulle lumière n’y pénétrait.

 

— Il vous faudra un mède spécialisé dans les arts de la lumière, pour marcher dans les rues de cette ville, avait expliqué Torel. Si le soleil n’y est pas, il faut le faire venir. On ne peut pas rester dans l’ombre, sous aucun prétexte. Là-bas, l’ombre, elle est… plus sombre qu’ailleurs.

 

La lumière, répétait Torel, rester dans la lumière.

 

Le mède nous avait été très utile. La fenêtre, qu’il avait ouverte sur le ciel ensoleillé d’Imma, nous suivait et parvenait à dispenser la bande de lumière dans laquelle nous évoluions. Autour de nous, tout était pareil au néant absolu. Parfois, la lumière de Solpa, si fragile en ce lieu, nous laissait apercevoir un mur, des escaliers, l’angle d’une rue pavée, de la pierre et du bois ; ce qui prouvait bien que nous nous trouvions réellement dans une cité.

 

Mais qui avait vécu en ce lieu ? Et à quelle époque ?

 

Une chose était sûre, cependant : s’il y avait, sur Panium, un endroit qui existait en opposition avec lui, comme une injure, une moquerie faite à Solpa, alors il s’agissait de cette cité. S’il y avait un passage, quelque part, pour rejoindre l’être obscur, Absol le ténébreux, opposé au porteur de lumière, alors l’entrée devait se trouver ici.

 

Chacun de nos pas était mesuré, et notre confiance en l’habileté du mède était grande. Si la fenêtre se refermait, il n’y aurait plus que du noir. Et l’insistance de Torel pour que l’on reste dans la lumière nous emplissait de terreur, même si lui-même semblait ignorer quel était le danger, précisément.

 

Mais si nous respections cette prudence, c’était surtout à cause des bruits. Inidentifiables, grouillants ; ils émanaient de la cité dans l’ombre. Nos esprits peuplaient cette obscurité de mille chimères nées de notre peur du noir. Nous le savions, comme si Solpa lui-même nous avertissait : si nous ne restions pas dans sa lumière, personne ne pourrait nous sauver.