Le Nouveau chemin

 

 

 

 

Dès que ma conscience émergea des brumes de mon sommeil, je sus que je n’étais plus chez moi. Il faisait plus froid, et je sentais l’humidité du sol sous mon corps étendu. Encore une fois, j’avais été transporté dans un endroit inconnu de ce monde. Je me trouvais sous une voûte rocheuse ; une alcôve où tombaient des gouttes qui ruisselaient sur la roche. Je quittai cet abri pour rejoindre l’herbe fraîche, sous un ciel bleu, et le paysage de hautes montagnes qui encerclaient la vallée où je me trouvais.

 

Parmi les rochers qui parsemaient cette étendue paisible poussaient des marguerites et d’autres fleurs jaunes dont j’ignorais le nom, mais que je me souvenais avoir vues dans des ouvrages d’herborisme du professeur Barron, parlant de la flore de Imma.

 

Je cueillis machinalement une marguerite, comme pour éprouver la matérialité de ce lieu, et m’assurer que je ne rêvais pas. Une bourrasque souffla sur la plaine et me fit fermer les yeux, écoutant le bruit d’une végétation courbée sous le vent.

 

— Arthur, laissais-je échapper dans un souffle, presque sans m’en rendre compte.

 

Je le ressentais dans le vent qui soufflait, dans le soleil sur ma peau, dans l’odeur de la vie qui inondait mes narines. C’était sûr ; il m’avait amené ici. Je pris la direction qu’il m’indiquait et marchai suivant le vent, pied nu à travers les herbes, sur la terre nue et les rochers chauffés par le soleil. J’atteignis alors une stèle qui s’élevait, plus haute que moi, couverte de mousse sur le côté qui me faisait face.

 

Plissant les yeux, je m’assurai d’avoir bien distingué des traits plus sombres sur la pierre, sous la mousse verte, et je me mis à la gratter, la détachant pour mettre au jour des inscriptions gravées. L’écriture, noire et très ancienne, s’étendait en une simple ligne : « Refaites vos choix ».

 

Immédiatement, je compris et, souriant, je levai mon regard vers le ciel pour remercier Arthur. Je ne m’étais jamais résolu à l’appeler autrement, sauf face aux habitants de Panium. Pour moi, il restait Arthur, mon ami, mon amant.

 

Je ne savais pas s’il avait créé cette vallée pour moi, ou si ce lieu existait depuis longtemps, quelque part, attendant son heure, mais ces quelques mots exprimaient parfaitement ce dont je l’avais prié, indirectement, lors de la Lumière de Solpa, quelques lunes auparavant. L’année précédente, Alric avait quitté Panium à la fin d’une vie bien remplie, renaissant ailleurs, sous d’autres traits, suivant le cycle des âmes. J’avais vécu tout ce que mes désirs m’avaient amené à souhaiter. J’avais connu Suzan, Kyo et Naida. J’avais été Mijak, j’avais été Jan, Vincent, Samoth. Aujourd’hui, l’éternité se faisait bien longue. Mijak avait péri par le fer, Jan avait disparu, évanoui dans la nature qu’il aimait tant. Vincent était parti pour un voyage dont il ne devait jamais revenir. Samoth était mort, le sourire aux lèvres, sans un seul regret. Aujourd’hui, après tant d’années, j’étais redevenu Charlie. Juste moi.

 

La liberté de refaire ses choix, à chaque instant, de remettre en question le chemin sur lequel nous progressons, voilà ce qu’exprimait cette maxime. Est-ce le bon chemin ? Est-ce que nous désirons toujours parvenir à destination ? Ses abords sont-ils agréables ? Les choix ne doivent pas être des prisons, et la possibilité de changer de route doit toujours être à portée de pas.

 

Je restai quelques minutes, immobile, à concentrer ma volonté, à m’assurer de ma décision, jaugeant mon désir, m’interrogeant, « est-ce vraiment ce que je désire ? », puis je tendis la main et touchai la stèle.

 

La sensation dans mon corps fut à nulle autre pareille : mon cœur soulevé, mon poids semblant s’évanouir dans un flottement qui dura quelques instants où, le souffle coupé, je crus vivre mes dernières secondes.

 

Puis, soudainement, tout s’arrêta, et je retombai comme un corps désarticulé sur l’herbe, devant la stèle dont l’inscription gravée brillait désormais d’une lueur bleutée.

 

Reprenant mon souffle, je me relevai et goûtai à mes premières minutes dans cette existence renouvelée. Je touchai mon visage, respirai, écoutai ; tout semblait pareil et différent à la fois. Sans avoir besoin de m’en assurer, je savais que j’avais définitivement changé. J’allais vivre, vieillir et mourir sur Panium. Et aujourd’hui, ceci, je l’acceptais. Au plus profond de moi-même, ce monde était devenu le mien, et j’en faisais partie entièrement.

 

Sur un lit de pierre, je me couchai et sentis le sommeil m’envahir immédiatement.