La vallée foudroyée

 

 

Dans l’auberge au centre de la vallée, tous les clients étaient attablés, tenant leurs boissons chaudes près de leurs corps, serrées entre leurs mains, et parlant à voix haute. Réno le tenancier, nullement troublé par la succession ininterrompue de déflagrations qui secouait la vallée, semblait s’amuser de la mine peu rassurée de ses invités.

 

— Tenez, enchaîna-t-il sur la conversation, il y a une manie, ou une habitude des gens de la vallée, dans les dômes. Vous imaginez bien qu’avec l’orage permanent, ou la permarage, comme on dit ici, bref on est plutôt réticent à bouger. Il y a les tunnels, certes, mais bon, c’est froid, humide, ça pue et certains sont de vrais coupe-gorges. Bref, du coup quand on se dit « ah, faut que j’aille au Dôme Nord », ou « merde, faut que je voie ce type, au Multi-dôme », quoi que ce soit qui demande de quitter son propre dôme où on est peinard, bien au chaud, on entend toujours les gens dire ’je ferai ça après la pluie ». Évidemment, c’est un moyen de se dérober, tout le monde a conscience de ce qu’est cette vallée. De mémoire d’homme, on a jamais vu le soleil briller entre ces montagnes. Mais bon, ça n’empêche pas certains de prophétiser son retour.

 

Réno se tut un moment, sirotant son grog. Ses invités, crispés sous un nouveau coup de tonnerre qui ébranla la structure au-dessus de leur tête, ne semblaient pas prêts à aller se coucher. Comment pouvait-on dormir ici ? Comment les habitants de la Vallée Foudroyée pouvaient-ils y vivre ? Sari ne comprenait pas pourquoi quiconque voudrait rester ici. Éric la devança en posant la question à Réno.

 

— Je comprends votre étonnement, répondit celui-ci. Moi-même, je ne suis pas né ici, et je ne pensais pas y rester. Je faisais la route pour acheter des marchandises à ramener à Selora, et j’ai fais halte ici. Je ne connaissais pas la Vallée, et après quelques jours je me suis pris au jeu. J’ai aussi l’espoir, comme tout le monde, même s’ils ne l’avoueraient jamais, de voir l’orage se terminer. Je partirai, un jour, ouais. Mais bon. « Après la pluie ».

 

Il termina avec un clin d’œil et se mit à rire. Les invités attablés lui répondirent par des rires timides.

 

— C’est Calem Ilh qui a construit ces dômes, reprit-il. Avant ça, rien n’abritait le voyageur de la foudre, et cette vallée était un vrai mouroir. Ou un défi pour les fous, comme il y en a toujours. Toujours est-il que Calem Ilh en avait dans le froc. Il a d’abord fait construire les tours ; les cadavres de ses ouvriers ont été réduits en cendres, ouais, je sais, l’histoire de la Vallée n’est pas des plus glorieuses… Ensuite, protégés par l’effet paratonnerre, ils ont bâtit les premiers dômes, autour. Je ne sais pas ce qu’il a vu, ici. Peut-être, comme on dit, qu’il a vu, ou su, ce qui se révélerait le jour où les rayons de soleil frapperaient la vallée. Ou bien, comme moi, peut-être s’est-il juste arrêté un jour de voyage, dans cette vallée, et a déclaré qu’il allait se reposer et repartir « après la pluie ».